vendredi 15 octobre 2021

Les étincelles invisibles

Elle Mcnicoll

Éditions L’école des loisirs

Addie est autiste. Lorsqu’elle apprend en cours d’histoire que sa petite ville de Jupiner a persécuté, torturé et exécuté au Moyen Âge des dizaines de sorcières, elle est bouleversée. Ces femmes accusées de sorcelleries n’étaient-elles pas autistes ou neuroatypiques comme elle ? Victime de brimades en classe, Addie se sent particulièrement concernée par leur sort. Elle décide de mener campagne pour que la ville de Jupiner rende hommage à ces sorcières injustement traitées.

Comment ne pouvais-je pas être attirée par ce roman ? Adeline, la jeune héroïne est autiste, elle souffre sûrement du syndrome d'asperger comme mon Robin. Le récit s'ouvre sur une scène qui m'a brisé le coeur en tant que maman d'un enfant dys car Addie n'est pas qu'autiste apparemment, elle doit souffrir de dysgraphie. "C'est une honte d'écrire aussi mal ! [...] je continue de scruter ma copie. Et puis, tout à coup, elle disparaît de ma table. Mlle Murphy l'a brusquement attrapée pour la mettre en pièces."
Encore une page de plus et j'ai refermé le livre. Les larmes étaient déjà là, j'ai dû me faire violence pour continuer tant je sentais que j'allais être bien trop concernée et empathique.
Je ne pense pas que mon aspie pourra lire ce roman, ce serait trop dur pour lui qui a vécu un violent harcèlement scolaire pendant deux années avant notre passage à l'ief. Par contre, pour des aspies moins sensibles sur ce sujet, c'est agréable d'être plongé dans la vie d'une autiste avec des pensées et des actions réalistes. Pour les neurotypiques et particulièrement les enseignants, c'est également un roman que l'on ne peut que leur conseiller. Cela permet certainement de mieux comprendre les autistes et de se questionner sur les manières d'agir vis à vis d'eux.
La jeune héroïne a une grand soeur, Keedie, qui est autiste elle-aussi. Cette dernière l'aide beaucoup à se comprendre et à comprendre les autres ayant elle-même les mêmes difficultés mais plusieurs années d'expérience et d'apprentissage de la société de plus.
C'est un récit très frustrant pour un coeur de maman mais heureusement Adeline a de la ressource et son autisme (vive les intérêts restreints parfois !) la pousse aussi à se dépasser et là, la suivre devient jubilatoire.

J'ai beaucoup aimé observer les relations familiales, elles sont si crédibles. Il y a certes le lien fort entre Addie et Keedie et il y aussi celui que la fillette a avec la jumelle de Keedie, Nina. Nina n'est pas autiste et elle fluctue entre jalousie du lien entre ses soeurs porteuses du même handicap, exaspération de leurs différences et de la gêne face aux autres quand elles ont des réactions atypiques en public et malgré tout une envie (malgré ses maladresses) de les protéger et de prendre soin d'elles. Le récit est brutal mais encore une fois tellement juste. Quand je fais le bilan de toutes les agressions qu'ont subi mes fils à cause de leurs différences, je me demande comment c'est possible que le sort se soit autant acharné. Que Tristan ait été harcelé moralement par un instituteur au point de vouloir mourir puis que Robin ait subi un harcèlement moral et physique de la part d'une institutrice et des élèves pendant deux ans, et que même en changeant d'école Tristan ait fini par être à nouveau harcelé mais par des enfants cette fois. Dans Les Étincelles Invisibles, les filles de cette famille ont vécu tout autant que nous. C'est rare que je me sente aussi proche de personnages. L'autrice est autiste, j'imagine que c'est sa neurodiversité qui permet qu'elle écrive aussi sensiblement et justement sur le sujet. Le récit se déroule en Écosse, dans un petit village proche d'Édimbourg (qu'est-ce que j'aimerais y retourner ! Si la bouffe est infect en Écosse, les pays sont magiques, et j'avais adoré la capitale). Dans l'horrible cours de Mlle Murphy, Addie apprend que des sorcières ont été tuées en grand nombre dans leur village. La fillette va tenter d'en savoir le plus possible sur cette période et se met en tête de rendre hommage à ces femmes injustement torturées et noyées. Addie fait une projection sur les sorcières. Elle comprend que si on a tué toutes ces femmes c'est à cause de leurs différences. Des différences sûrement très proches de la sienne.

Addie se fait une nouvelle amie, Audrey mais encore une fois, son autisme lui met des batons dans les roues. Elle tente alors de se faire le plus caméléon possible.

Le récit monte en intensité au fil des pages. Finalement, ce n'est plus pour Addie que l'on s'inquiète mais pour Keddie. Keddie qui vit si mal ses journées à l'université.

Je vais faire lire ce roman à mon mari. D'une part, parce que ça lui permettra de nous retrouver dans les personnages et d'autre part, car par une amusante coïncidence il y a quelques jours il m'a interrogé sur les femmes accusées de sorcellerie. 🙃Quant à Tristan, je vais le pousser à le lire. Multi-dys et présentant même quelques troubles autistiques, il n'est pourtant pas souple avec son frère et je suis sans cesse obligée de lui rappeler que Robin est autiste d'où certains de ses comportements. J'espère que cette lecture va lui ouvrir un peu plus les yeux sur ce que ressent son petit frère.
Émouvant et très prenant. Drôle et impertinent. Frustrant et donnant des envies de claquer certains personnages. Avec des personnages attachants et une immense justesse. Je déteste quand les personnages s'expriment d'une façon bien plus mature que l'âge qu'ils sont censés avoir ou quand j'entends la voix de l'auteur plutôt que celles de ses protagonistes. Ici, Addie correspond bien aux petites filles de 10-11 ans que je connais et j'ai réussi à entendre la voix de chaque personnage. Le récit est formidable jusqu'à la toute dernière ligne. 💙 Vous aurez sûrement compris rien qu'en voyant que j'ai écrit toute une tartine, que j'ai eu un ÉNORME coup de cœur pour ce roman. C'est un roman lucide ! J'espère qu'il va ouvrir les yeux de ceux qui vont le lire. J'ai hâte de lire d'autres livres de l'autrice !!

 

Quelques citations :

"Il y a des gens qui sont comme des arbre. Le vent peut souffler tant et plus, ils ne bougent pas. Ils seront toujours là." "Ils emploient des mots que ma mère et mon père ont bannis de notre vocabulaire. Certains disent que si je peux parler c'est que je ne suis pas vraiment autiste." "_ Elle a une forme légère, Keddie. Comme toi. _ [...] Légère pour toi et pour tous les sans-cœur de ce village, Nina, mais pas pour moi ! Et pas non plus pour Addie ! C'est une forme légère parce qu'on fait des efforts, et ça nous coûte beaucoup !"

"Je comprends maintenant pourquoi Keedie dit tout le temps :"Heureusement qu'il y a les profs de théâtre."

"Quand tu es internée [...], c'est comme si tu appartenais à l'État. C'est lui qui décide ce qu'on fait de toi. Pas ta famille. Et encore moins toi."

"Les bons libraires, comme les bons profs, sont des gens précieux."

"Ils ne pigent pas. [...] Ce que c'est que de cacher tous les jours sa véritable identité. De faire semblant."

"Je regarde mes mains qui tressautent sous l'effet d'étincelles invisibles."

"Il y a plein de façons différentes d'être autiste. Et beaucoup de gens ne le comprennent pas."

"Qu'est-ce qu'elles doivent s'ennuyer dans la vie ! dit Audrey. Sa remarque me fait réfléchir. Elle a raison. Quand on est ensemble, elle et moi, on est trop occupées à s'amuser pour dire du mal des autres."

"C'est toujours pareil avec les adultes. Ils vous disent que le monde est dangereux, qu'il faut se méfier des gens qu'on ne connaît pas, mais ils ne vous expliquent jamais pourquoi. Ils disent qu'il faut avoir peur, sans jamais donner de raison."

"_L'avantage des grandes villes, c'est que tu peux disparaître et te montrer quand tu veux. Si tu as envie d'être invisible, tu peux. Je la regarde en souriant. Elle ne comprend pas. Invisible, je le suis déjà. La vraie Addie se cache derrière un masque de conventions sociales, de règles, et de comportements étranges propres aux neurotypiques."

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